Lorsque César Méléra arrive à Bois Saint-Pierre dans l'après-midi du 5 juin 1916, après deux heures d'errance sous la pluie pour chercher l'emplacement du bivouac, il est fourbu. Chacun tente tant bien que mal de trouver un abri. Le kilogramme de paille distribué à chaque militaire s'est vite enfoncé dans la boue ; le pain et les capotes sont trempés. Au petit matin, un homme de la 1re compagnie est étendu, la cervelle vide : « fusil placé près de lui, il a poussé la gâchette et a résolu le sombre infini ». Le régiment de zouaves d'Oran, le meilleur de l'armée de Verdun, a rejoint la Coloniale. Ordre est donné de se rendre au fort de Tavannes pour huit jours, sans ravitaillement. Le 12 juin à 20 heures, alors que déjà nombreux sont ceux qui ont été fauchés par les obus, l'auteur raconte : « On va entrer dans la fournaise. Calme absolu : il faut que les destinées s'accomplissent ». Puis, à minuit : « Un 137 autrichien s'obstine à taper un peu en avant, un peu en arrière de moi : je pense à cette chambre de cauchemar d'Edgar Poe dont les murs se resserrent les uns sur les autres, un puits au centre. Cauchemar ». Au terme de cette nuit, il ne reste plus un seul mètre qui n'ait été labouré, plus un brin d'herbe, plus un fétu de bois. Les hommes sont des paquets de boue. On ne reconnaît plus à deux mètres un zouave d'un colonial. Les morts ne sont pas épargnés non plus. Gayol, que César Méléra a fait enterrer la nuit, est déterré et cisaillé en deux par un obus. « Qui n'a vu des blessés râlant sur le champ de bataille, sans soins, buvant leur urine pour calmer la soif, et la vie des hommes sous le tunnel de Metz à Verdun, n'a rien vu de la guerre. Verdun est terrible, pas plus que ne le fut Arras ou l'Yser en 1914, il est terrible en ce qu'on y est obligé de soutenir une guerre de rase campagne contre des moyens de forteresse ; il est terrible parce que l'homme s'y bat contre du matériel en ayant la sensation de taper dans le vide ; il est terrible encore plus parce qu'il est impossible d'y manger, d'y avoir chaud et surtout d'y dormir ». Deux ans plus tard, l'auteur revient de sa bataille sur la montagne de Reims. « Ce fut un beau travail, un art sanglant qui ne ressemblait en rien au charnier, à la pourriture de Verdun. » Parti avec 475 hommes, le bataillon ne revint qu'avec 135 rescapés. Il a sauvé Reims et la montagne en se sacrifiant. « Après Verdun, vainqueurs, nous restions des loques angoissées ; ici battus, nous sommes fatigués, mais pleins de confiance. Le flot monte mais reflue en vagues sanglantes ».