Sur ordre des Alliés informés de l'arrivée imminente des Allemands, Georges Desson se résigna à quitter le château de Montrouge où il s'était installé peu de temps auparavant avec son épouse. Il expédia des messages dans les sept communes voisines et, au milieu de la nuit, envoya dans la direction de la forêt un convoi de bœufs, des chevaux et des chariots de provisions. De treize à quinze cents personnes, en colonnes, s'engagèrent à sa suite dans la forêt de Saint-Gobain et campèrent à la belle étoile à Prémontré. Le campement dura huit jours, puis persuadé que la menace allemande avait disparu, chacun rejoignit sa demeure. Quelques jours plus tard, ce fut l'invasion. Le 10 septembre, les troupes ennemies se présentèrent, précédées de leurs colonnes de ravitaillement. Á la stupeur générale, elles s'établirent à Rogécourt, à Berteaucourt et dans les communes environnantes. Un mois jour pour jour après sa première arrestation, Georges Desson fut transféré sous la garde de deux gendarmes, baïonnette au canon, au fort d'Hirson qui sur certains points n'était plus que décombres. Au fond d'une casemate, penché devant un petit poêle en fonte, un vieillard transi, une pèlerine sur le dos, fendait du bois en s'aidant d'un gros couteau sur lequel il frappait avec une bûche. Ce soi-disant vieillard n'était autre que M. Noël, maire de Noyon, sénateur de l'Aisne et directeur de l'École centrale. Rapidement, ils furent rejoints par d'autres personnalités locales, dont M. Trépont, préfet du Nord. Dans la casemate voisine, les otages de vingt-neuf communes répondaient sur leur vie d'une amende d'un million cinq cent mille francs pour avoir secouru une compagnie de ligne qui s'était échappée lors de la chute de Maubeuge. Chacun redoutait d'être transféré quelques heures ou quelques jours dans la cellule de l'angoisse qui affaiblissait encore davantage les corps mais qui ne parvenait pas à éteindre la flamme patriotique. Les mois se succédèrent et juin commença sans illuminer ni réchauffer cette casemate qui ressemblait de plus en plus à un cul-de-basse-fosse. Brusquement, le 8 juin, le feldwebel demanda à chacun de rassembler ses vêtements et ses objets familiers. Deux heures plus tard, la nouvelle tomba : tous devaient partir en Allemagne. S'ils furent soulagés de ne pas être fusillés comme ils le redoutaient, les prisonniers quittèrent la France avec l'angoisse de ne pouvoir avertir leurs proches de leur départ.