Lorsque le tocsin retentit en août 1914, les hommes du canton de Ribemont partirent rejoindre les régiments de Saint-Quentin, de Laon ou de La Fère. Ceux qui restèrent n'eurent pendant plusieurs jours d'autres nouvelles que les communiqués impersonnels affichés à la mairie. Les cortèges de réfugiés étaient de plus en plus nombreux sur les routes, et bientôt des soldats de l'armée britannique fuyards ou blessés les accompagnèrent, avertissant la population que la bataille se rapprochait. Seul un miracle pouvait sauver le canton. Il faillit se produire. Une grande bataille, dont l'Histoire dira un jour qu'elle brisa l'élan victorieux des Allemands descendant vers Paris, allait être livrée sur ce territoire que la population se résigna à évacuer sur les conseils des officiers. Éprouvé par la campagne de France en 1814, témoin de la lutte de Faidherbe en 1870, le canton de Ribemont fut choisi comme principal théâtre et comme pivot de la bataille de Guise. En fâcheuse posture pendant quelques heures, von Bülow parvint à s'emparer de tout le canton. Sa troupe, fourbue par deux jours de bataille, mangea, but tout son soûl, pilla les caves et éventra les portes et les meubles. Lorsque le lendemain, elle reprit sa marche vers la Marne où l'attendait la défaite, les habitants revinrent dans leur foyer pour enterrer les morts et porter secours aux quelques rescapés, sous la conduite exemplaire de Paul Lefèvre, maire de Ribemont. Les villages étaient dorénavant sous le joug de l'ennemi et le restèrent pendant quatre années, jusqu'au mois d'octobre 1918. Ribemont devint le siège d'une kommandantur et le canton fut démembré. L'oppression commença aussitôt. Les réquisitions s'abattaient sur le pays et présentaient une diversité infinie qui aurait pu être risible si elle n'avait pas été tragique. La spoliation s'étendait à tout, depuis les tables de nuit jusqu'aux récoltes, en passant par le linge et les cuillères à café. L'autorité allemande n'ignorait pas les efforts héroïques de quelques habitants pour cacher et nourrir des soldats alliés. Certains purent reprendre du service, quelques-uns restèrent jusqu'à la fin des hostilités, et d'autres, parfois dénoncés, furent exécutés avec ceux qui les avaient secourus. Les difficultés de ravitaillement vinrent assombrir encore davantage la fin de cette première année de guerre. Puis, une grande joie se répandit dans les villages. Le grondement si proche de l'attaque de la Somme et le ciel en feu que chacun pouvait contempler le soir ranimèrent tous les espoirs et la délivrance ne parut plus un vain mot.