Dans cette ville où des événements tragiques devaient se succéder, la mobilisation anima les vieilles rues, ordinairement si calmes, d'une effervescence patriotique. Après le départ du 5e territorial auquel appartenait le mari de l'auteur, dans la nuit, une fanfare militaire réveilla la ville endormie : le 33e régiment d'infanterie, chantant la Marseillaise, entouré d'un peuple en délire, partait pour la bataille. Après divers pourparlers, Mgr Lobbedey fit don du séminaire à la Société de secours aux blessés. Le bel édifice gothique, jadis clos aux regards profanes, ne tarda pas à être transformé en hôpital, tandis que les événements de la guerre se précipitaient tristement. Le vendredi 21 août, alors que les infirmières commencent à monter les lits, le bruit court que les Allemands pourraient envahir la ville dès le lendemain. Huit jours plus tard, à 5 heures du matin, un défilé de « soldats ne tenant presque plus debout » s'offre aux yeux des habitants. Ils marchent depuis trois jours et trois nuits, venant des environs de Bapaume et de Cambrai et expliquent que les Allemands arrivent derrière eux, à rapide allure. Accourue à l'hôpital, Mme Colombel découvre une horreur lugubre : plus de deux cents hommes attendent pour faire panser leurs pieds sanglants. Un soldat est évanoui sur la route. Premier d'une atroce série, il ne présente pas de blessure ; il est simplement exténué. Les blessés arrivent si nombreux que le docteur Béhague délègue très vite. « Je tremble un peu quand je fais mon premier pansement sur une épaule, puis une seconde épaule, je vais aider à la salle d'opération avec Mmes Carpentier et Leclercq, voir sectionner ce qui reste d'un doigt et recoudre le reste, percer un phlegmon, relier un tendon au poignet. » Les blessés se succèdent, vite évacués ou rappelés au front s'ils sont guéris. Lorsque débute le bombardement d'Arras, le 6 octobre, l'ambulance est en danger car elle est adossée au clocher devenu une cible parfaite. Des blessés refusent de rester sur place, préférant mourir sur la route de Saint-Pol que de tomber aux mains des Allemands. Incapable de les raisonner, l'infirmière voit alors se traîner des hommes qu'elle soignait dans l'immobilité absolue ; un autre « se roule comme il peut ». Mais l'horreur ne s'arrête pas là. Le danger est si proche que même les blessés les plus graves sont descendus à la cave au prix de douleurs intenses et au risque de succomber à leurs blessures. Lorsque qu'un obus fait voler les vitres en éclat, dominant le tumulte, l'abbé Gengembre crie : « Absolution générale ! ».